4
Le désert a une beauté que je ne pourrai jamais oublier, quand bien même je vivrais mille vies.
Paul Muad’Dib Atréides.
Dans la lumière dorée de l’aube, deux silhouettes avançaient sur la crête d’une dune, d’un pas irrégulier pour ne pas attirer les immenses vers des sables. Elles marchaient côte à côte, inséparables.
Il faisait chaud, sur Dune, mais moins qu’autrefois. À cause des immenses dégâts subis par l’environnement, le climat était plus frais et l’atmosphère moins dense. Mais depuis le retour des vers, avec les truites et le plancton des sables qui faisaient éclater la couche vitrifiée recouvrant les dunes, l’ancienne planète commençait à renaître. Comme le disait souvent le père de Chani, Liet-Kynes, tout sur Dune était lié, formant un écosystème qui incluait la terre, l’air et l’eau disponible.
Et grâce à Duncan Idaho, un large contingent de machines spécialement renforcées poursuivait le processus d’excavation à des latitudes où les vers des sables n’étaient pas encore revenus. Méthodiquement, l’armée mécanique préparait l’ancien sable, section par section, pour permettre aux vers d’étendre leur territoire. Des plantations massives et des travaux de fertilisation, accomplis par les tracteurs et les excavatrices des machines pensantes, avaient permis de stabiliser le sol calciné et d’établir une nouvelle matrice biologique, tandis que les courageux colons de Paul surveillaient les progrès de la végétation et travaillaient aux côtés des machines. Au travers de ses pensées déployées dans l’univers, Duncan s’assurait que les machines pensantes comprenaient bien ce que Dune avait été autrefois, avant que des étrangers ne viennent perturber son écosystème. La technologie utilisée à mauvais escient avait dévasté la planète-désert, et c’était la technologie qui permettrait de la restaurer.
Paul s’arrêta à une centaine de mètres d’une formation rocheuse où une équipe avait découvert les ruines d’un sietch abandonné. Avec l’aide d’un petit groupe de colons déterminés, Chani et lui avaient reconstitué de leurs propres mains cet habitat des Fremen. Pour revenir aux modes de vie anciens.
Dans les temps révolus, il avait été le légendaire Paul Muad’Dib à la tête d’une armée de Fremen. À présent, il était heureux d’être un Fremen moderne, le chef d’une communauté de sept cent cinquante-trois personnes qui s’étaient aménagé des refuges austères au milieu des rochers, en passe de devenir des sietches prospères.
Paul et Chani venaient fréquemment ici en avion, avec des équipes d’exploration. Plein d’optimisme, Paul entrevoyait le magnifique potentiel de Dune. Près du sietch exhumé, il avait découvert une grotte souterraine qu’ils avaient l’intention d’irriguer et d’équiper d’un éclairage artificiel, afin d’y faire pousser des herbes, des légumes, des arbustes et des fleurs. De quoi subvenir aux besoins de la petite population de nouveaux Fremen, sans pour autant mettre en danger l’écosystème du désert que les vers recréaient, année après année.
Un jour, peut-être, il pourrait même de nouveau chevaucher les vers géants.
Paul se retourna pour contempler le soleil jaune pâle qui se levait au-dessus de l’océan de sable.
— Dune se réveille. Tout comme nous.
Chani sourit. Elle voyait en lui l’Usul bien-aimé de ses souvenirs aussi bien que le ghola avec qui elle avait grandi. Elle aimait chacun de ces deux Paul. Son ventre était juste un peu gonflé, là où leur futur bébé commençait à manifester sa présence. Dans cinq mois, ce serait le premier enfant né sur cette planète depuis la recolonisation récente. Dans sa seconde existence, Chani n’avait pas à craindre les plans machiavéliques de l’Empereur, les contraceptifs cachés ni la nourriture empoisonnée. Sa grossesse serait normale, et l’enfant – à moins que ce ne soit les enfants, si le ciel leur accordait encore des jumeaux – aurait un grand potentiel sans la malédiction d’une destinée terrible et inflexible.
Chani, qui était encore plus en rapport que Paul avec le climat, tourna le visage vers la brise fraîche. Le lever de soleil commençait à s’enrichir de couleurs cuivrées dues à la poussière qui se soulevait.
— Nous ferions mieux de retourner au sietch, Usul. Une tempête se prépare.
Il la regarda glisser sur le sable d’un pas gracieux, ses cheveux roux flottant derrière elle. Chani se mit à fredonner la chanson de marche des amoureux sur le sable, les paroles accompagnant parfaitement le rythme syncopé de ses pas.
Parle-moi de tes yeux
Et je te parlerai de ton cœur.
Parle-moi de tes pieds
Et je te parlerai de tes mains.
Parle-moi de ton sommeil
Et je te parlerai de ton réveil.
Parle-moi de ton désir
Et je te parlerai de ton besoin.
Quand ils furent à mi-chemin des rochers, le vent se leva et le sable commença à leur fouetter le visage. Paul prit Chani par les épaules en faisant de son mieux pour la protéger de son corps.
— Oui, c’est une belle tempête qui se prépare, dit-elle lorsqu’ils atteignirent enfin le sietch où ils purent s’abriter. Une tempête purifiante.
Dans la faible lumière d’un globe luminescent, l’excitation teintait son visage de rose.
La prenant par le bras, Paul la fit se tourner vers lui pour lui essuyer le sable autour des yeux et de la bouche. Puis il l’attira contre lui et l’embrassa. En riant, Chani sembla fondre dans ses bras.
— Ah, dit-elle, tu as enfin appris à t’occuper correctement de ta femme !
— Ma Sihaya, répondit-il en la serrant contre lui, cela fait cinq mille ans que je t’aime.